Délégation de service public, la négociation des offres est-elle obligatoire ?
Auteur : SAIMAN Francis
Publié le :
29/04/2011
29
avril
avr.
04
2011
Il semble que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise soit allé un peu plus loin en considérant que la phase de négociation pouvait être tout simplement supprimée.
TA Cergy-Pontoise, 2 décembre 2010, SA APR, n° 07-07713
La Société SA Autos Polyservices Remorquages (APR) a saisi le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise aux fins de voir annuler les procédures de passation de plusieurs conventions de délégation de service public passées par le Préfet de la Seine-Saint-Denis pour la gestion des fourrières du département. A l'appui de son recours, la requérante formulait plusieurs moyens à savoir :
- que le préfet n'avait engagé aucune négociation avec les candidats alors même que la phase de négociation serait obligatoire dans le cadre de la procédure de passation des délégations de service public,
- qu'il n'avait pas informé les candidats de son intention de ne pas procéder à des négociations,
- que le préfet aurait manqué à l'égalité des candidats en n'informant que certains d'entre eux de ne pas procéder à des négociations,
- qu'en l'absence de négociation la requérante n'avait pas été en mesure d'améliorer son offre de prix.
Le tribunal rejeta l'ensemble de ces moyens au motif que l'autorité délégante jouit, en application de l'article L-1411-1 du CGCT, d'une liberté très étendue en ce qui concerne l'organisation de la négociation avec les candidats. Pour le Tribunal ce principe de liberté implique qu'il soit " loisible (pour l'autorité délégante) d'engager une négociation avec l'un quelconque des candidats et même de n'engager aucune négociation si elle s'estime satisfaite des offres présentées, ceci sans qu'il soit besoin de faire connaître aux candidats sa décision sur ce point ; qu'ainsi la société requérante n'est fondée à soutenir ni que la phase de négociation est une phase obligatoire, ni que l'objectif de transparence imposait que le préfet avertisse les candidats qu'aucune négociation n'était envisagée ". Précisons toutefois que dans la requérante ne rapportait pas la preuve que seuls certains candidats, dont elle ne fait pas partie, avaient été informés de l'intention du préfet de ne pas procéder à des négociations.
Sous cette réserve, la solution retenue par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est pour le moins innovante puisqu'à notre connaissance c'est la première fois que le juge administratif considère que la phase de négociation des offres, dans le cadre d'une procédure de passation des délégations de service public, ne constitue pas une phase obligatoire !
Il semble en effet que dans le cadre des procédures de passation des marchés publics qui, par exception ou en application des seuils, peuvent faire l'objet d'une négociation, un mouvement des juridictions en ce sens se soit déjà fait jour. En ce qui concerne les marchés passés selon une procédure adaptée (art. 28 Code des marchés publics) le Tribunal administratif de Toulouse a récemment affirmé que la négociation n'était pas une phase obligatoire de ladite procédure (TA Toulouse, ord. 2 mars 2010, n° 10-00626, Sté Jutgla). De même, en matière de marchés négociés (art. 34 CMP) le juge administratif a accepté que la phase de négociation soit réduite à une peau de chagrin sans toutefois aller jusqu'à considérer que cette phase pouvait être purement et simplement supprimée (CE, 11 août 2009, n° 325465 et n° 325498, Sté Val'horizon, Syndicat Emeraude : JurisData n° 2009 ; TA Saint-Denis de la Réunion, ord., 23 juill. 2010, n° 10-00649, Sté Signature)
En matière de délégation de service public on note également un mouvement jurisprudentiel reconnaissant aux collectivités publiques une marge de manœuvre très importante dans la phase de négociation des offres. Ce mouvement semble entrer en dissonance avec le principe selon lequel les délégations de service public sont soumises aux principes généraux du droit de la commande publique à savoir, liberté d'accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures (CE, 7e et 2e ss-sect., 23 déc. 2009, n° 328827, Établissement publ. musée et domaine nat. Versailles, concl. B. Dacosta : JurisData n° 2009-017405).
Un équilibre doit ainsi être trouvé entre ces principes et le principe traditionnel de liberté qui gouverne la passation des délégations de services publics et qui reste, au moins partiellement, marqué du sceau de l'intuitu personae.
C'est la raison pour laquelle, le Conseil d'Etat avait déjà considéré que, si la collectivité est tenue d'assurer un traitement égal des candidats qu'elle a retenus, elle peut n'engager des discussions qu'avec un seul candidat sans inviter l'autre candidat dont l'offre a été écartée (CE 14 mars 2003, Société Air Lib, Lebon T. 861). Cette solution a d'ailleurs été rappelée récemment par le Conseil d'Etat qui a considéré que la collectivité délégante n'est pas tenue de fixer préalablement un calendrier des négociations et n'est pas obligée de faire connaître sa décision de ne pas poursuivre les négociations avec l'un des deux candidats retenus (CE, 18 juin 2010, n° 336120 et n° 336135, Communauté urbaine Strasbourg et Sté Seche Eco Ind. : JurisData n° 2010-010027). Précédemment le Conseil d'Etat avait aussi décidé que la décision de ne pas admettre un soumissionnaire à la négociation n'a pas à être formalisée et notifiée à celui-ci (CE, ord, 15 déc. 2006, 298618, Sté Corsica Ferries : JurisData n° 2006-07118)
Il n'est donc pas surprenant que le Conseil d'État ait affirmé assez solennellement « qu'aucune règle n'encadre les modalités de l'organisation des négociations par la personne publique » (CE, 21 mai 2010, n° 334845, Cne Bordeaux : JurisData n° 2010-006679).
La décision commentée s'inscrit donc dans le cadre de ce mouvement jurisprudentiel déjà relativement structuré. Il semble toutefois que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise soit allé un peu plus loin en considérant que la phase de négociation pouvait être tout simplement supprimée. C'est qu'en effet, la mise en œuvre de négociations n'est pas, à la lecture des articles L-1411-1 et L-1411-5 du CGCT, une faculté laissée à l'attention des collectivités publiques contrairement à ce que prévoit l'article 28 du Code des marchés publics en matière de marchés passé selon une procédure adaptée.
La présente décision a donc été selon nous rendue contra legem et devra, somme toute, être confirmée compte tenu de l'impact d'une telle solution sur le régime légal de la passation des délégations de service public.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © Bernard GIRARDIN - Fotolia.com
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