Conditions de mise en oeuvre d'une entente entre collectivités territoriales
Auteur : SAIMAN Francis
Publié le :
29/03/2012
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2012
L'arrêt rendu par la Conseil d'Etat le 3 février 2012 soulève une nouvelle fois la question du respect de la libre concurrence lorsqu'une personne publique intervient sur un marché concurrentiel.
Respect de la libre concurrence lorsqu'une personne publique intervient sur un marché concurrentielLe marché de l'eau est un secteur marqué par une concurrence imparfaite qui connait depuis quelque année un fort mouvement de retour à la régie municipale.
Dans ce contexte, l'arrêt rendu par la Conseil d'Etat le 3 février 2012 (N° 353737) soulève une nouvelle fois la question du respect de la libre concurrence lorsqu'une personne publique intervient sur un marché concurrentiel.
Dans cette décision, la Haute juridiction vient en effet d'apporter des précisons intéressantes sur les conditions de validité des conventions d'ententes intercommunale prévues par l'article L. 5221-1 du CGCT et la question de leur compatibilité avec les règles de libre concurrence.
Dans cette affaire, la commune de VEYRIER-DU-LAC avait passé une convention avec la Communauté d'Agglomération d'ANNECY pour la mutualisation d'un service public de distribution d'eau potable sur le territoire de la commune. Ce service était jusqu'à lors exploité par un opérateur privé dans le cadre d'une délégation de service public.
Cette "entente", qui est une forme de coopération intercommunale prévue par l'article L. 5221-1 du CGCT, avait donc permis à la Commune de confier à une Communauté d'agglomération voisine et dont elle n'est pas membre, la gestion d'un service public en marge de la procédure applicable en matière de délégation de service public.
Saisie par la Lyonnaise des Eaux France, le juge des référé du TA de Grenoble avait annulé cette convention "au motif qu'elle était constitutive d'une délégation de service public, conclue en méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence inhérentes à la passation de telles conventions".
Le Conseil d'Etat censure cette ordonnance. Il précise qu'une commune peut accomplir les missions de service public qui lui incombent en coopération avec d'autres personnes publiques et qu'elle peut, sur le fondement de l'article L. 5221-1 du CGCT, conclure "hors règles de la commande publique" une convention visant à mutualiser les moyens dédiés à l'exploitation d'un service public.
Cette possibilité de "déléguer" un service public en dehors des règles de publicité et de mise en concurrence est néanmoins strictement encadrée par la haute juridiction qui précise les conditions de validité de cette "entente" au regard du droit de la concurrence :
- L'entente ne doit pas permettre "une intervention à des fins lucratives de l'une de ces personnes publiques, agissant tel un opérateur sur un marché concurrentiel".
- L'entente doit avoir pour objet un "même service public, en continuité géographique".
- L'entente ne doit pas "provoquer de transferts financiers indirects entre collectivités autres que ceux résultant strictement de la compensation de charges d'investissement et d'exploitation du service mutualisé"
Elle ne peut concerner que des personnes publiques qui souhaitent mettre en commun un même service public sur un territoire commun.
Enfin, et c'est ici que réside certainement la condition la plus importante, elle ne doit en aucun cas avoir un caractère lucratif et permettre à l'une des personnes publiques de tirer un bénéfice financier de l'opération. Le tarif appliqué aux usagers doit nécessairement être à prix coûtant et se limiter au coût des investissements et de production.
Dès lors que ces conditions sont remplies, les sages du Palais Royal ont jugé que la convention pouvait être conclue en dehors des règles de publicité et de mise en concurrence normalement applicable aux délégations de service publique.
Cette nouvelle exclusion des règles de concurrence pour des conventions conclues entre deux personnes publiques n'est pas sans rappeler celle concernant les contrats de quasi-régie plus connus sous le nom de contrat "in house". Ces contrats, passés entre une collectivité locale et certains organismes privés, ne sont pas soumis aux directives européennes et au code des marchés publics si un ensemble de conditions très strictes sont respectées.
Cependant, une telle dérogation, si elle est admise de façon prétorienne dans cet arrêt par le Conseil d'Etat, suscite nécessairement des interrogations, en particulier quant à sa compatibilité avec les règles européennes.
La Cour de Justice de l'union européenne semble pourtant bien avoir validé ce mécanisme en affirmant dans une décision du 9 juin 2009 que pareille collaboration entre autorités publiques ne saurait remettre en cause l’objectif principal des règles communautaires en matière de marchés publics dès lors que la mise en œuvre de cette coopération est uniquement régie par des considérations et des exigences propres à la poursuite d’objectifs d’intérêt public. (CJCE, Gd. CH., Com. c/ RFA, aff. C-480/06).
Au terme de cette jurisprudence communautaire, la poursuite quasi-exclusive d'un objectif d'intérêt public semble constituer la condition essentielle pour admettre une dérogation aux règles de publicité et de mise en concurrence.
L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 3 février 2012, bien que silencieux sur cet aspect de la convention, ne semble pourtant pas l'ignorer. C'est précisément parce que la convention d'entente avait pour objectif de diminuer au maximum le tarif de la prestation applicable à l'usager, jusqu'à le réduire au prix coûtant, que le Conseil d'Etat admet une dérogation aux règles de passation classique des DSP.
Or la distribution d'eau potable est aujourd'hui un service public important dont les enjeux économiques sont indéniables et soustraire sa délégation aux règles de publicité et de mise en concurrence invite nécessairement à la réflexion.
La sécurité juridique de ces conventions peut-elle être garantie? Le choix opéré par la personne publique de déléguer à une autre personne publique plutôt qu'à un opérateur privée favorise-t-il nécessairement l'intérêt général?
La portée de cette jurisprudence sur la délégation des services publics dit "primaires" pourrait être importante et favoriser l'émergence d'une troisième voie entre la gestion en régie et la délégation ouverte à la concurrence.
Cet article n'engage que son auteur.
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